En tant que personne transmasculine, je négocie depuis long long longtemps mon identité et ce que je peux bien faire pour qu’elle soit (adéquatement) comprise socialement. Et ce, dans un climat à tout le moins peu propice au développement de masculinités saines et respectueuses. Jeune ado, le succès de mon expression de genre dépendait largement de ma capacité de blend in avec des garçons immatures aux habitudes loin d’être recommandables. Passé un certain âge, je n’avais certainement pas le physique ou la barbe des jeunes hommes de ma génération, alors c’était plus ou moins peine perdue de me faire valoir à leurs yeux comme l’un·e des leurs — en assumant que c’était même souhaitable comme but…
Tu trouveras ici une petite réflexion sur le sujet.
Une identité à façonner, mais impactée par son contexte
Il y a quelque temps, un gars que je fréquentais m’a appelé·e pour me présenter ses excuses.
Nous avions passé un petit 24 h ensemble durant l’Action de grâce américaine, ou plutôt la « fête » d’un succès colonial génocidaire (beurk) auprès d’ami·e·s à lui, qui nous ont gentiment logé·e·s dans leur pratique petite guest house à Berkeley. Nous avions donc une maisonnée à nous pour la nuit, et nous comptions en profiter. Mon amant peut-être plus que moi, en fait.
Lui, il est une personne transmasculine non binaire. Moi, je suis non binaire et également transmasculin·e, mais aussi plutôt fluide et multiple dans ma collection de genres. Sa transition hormonale est beaucoup plus linéaire que la mienne, et sujette à une plus forte dose. C’est aussi un gars surtout gai, alors que je ressens quelques affinités saphiques dans mes attirances. Par ailleurs, il s’est longtemps vu forcé de devoir se tailler une place (genrée) dans un coin reculé des Appalaches, où il ne fait certainement pas bon vivre ruralement en tant qu’individu queer et trans. Même si nos contextes divergent largement, il a dû façonner sa masculinité nouvellement éclose, comme moi-même au fil d’une quinzaine d’années et encore régulièrement, à l’aide de ce qu’il a et avait comme modèles disponibles.
Des cultures à déconstruire pour mieux se construire soi-même
Or qu’est-ce qui nous entoure, en occident, en termes de masculinités ? La culture du viol abonde comme le mouvement #MeToo aura pu en attester haut et fort, et le backlash fasciste de droite actuel priorise des personnalités extrêmes comme celle qui vient de prendre ou plutôt perdre la tête des États-Unis… Les temps sont peut-être un peu plus cléments aujourd’hui qu’il n’y a quelques décennies côté harcèlement, mais on a encore tendance à blâmer les victimes d’abus sexuels plutôt qu’à réformer l’éducation des garçons et des hommes. Les personnes socialisées en tant que filles et femmes se font inculquer la responsabilité de renier les avances des gars, qui se font convaincre quant à eux par leurs camarades comme par la vaste majorité des médias disponibles qu’un « non » invite la repartie insistante.
Tomber dans les clichés
Cet amant m’appelait donc pour me demander pardon d’avoir laissé ses mains se balader par quelques fois, sans penser à demander mon consentement enthousiaste. Lorsque j’avais réagi par la négative avec plus ou moins de véhémence à ces diverses reprises durant notre court séjour, il s’était rapidement excusé. Mais voilà qu’il m’appelait, encore piteux de son comportement, pour m’assurer qu’il ne voulait pas reproduire une masculinité qui se croit toute permise ou qui prend le corps ou le désir de l’autre pour acquis. Ça m’a fait réfléchir — et élaborer bien plus qu’attendu dans le cadre de cette conversation téléphonique avec lui, qui ne cherchait qu’à corriger quelques faux pas, gestes hâtifs et automatiques, et non pas à s’inscrire à un cours d’éthique au département de philo.
Je me retrouvais dans une position curieuse : en ces instances, il avait effectivement frotté la partie de moi qui a depuis longtemps l’habitude de rouspéter les avances sexuelles énergétiques, qu’elles soient éventuellement recherchées ou pas du tout. Peut-être est-ce mon penchant ace flux qui se pointe avec une préférence pour la sensualité et la proximité des corps au toucher franchement génital, mais je rêve encore de langueur et de chaleur qui monte à coups de tease bien placés (ou plaqués).
Une autre partie de moi, peut-être celle qui se fait sentir par son lot de culpabilité, s’identifiait pourtant au moment de notre conversation avec l’expérience de ce gars qui s’était laissé aller sans y penser, en proie aux automatismes de sa libido à la hausse — à en croire ses explications. Je lui ai entre autres partagé que je venais d’avoir une réalisation malcommode à la suite d’une fin de semaine passée dans un environnement de camping parmi un groupe queer, en compagnie notamment d’une fille trans que je connaissais un peu. Elle m’avait confronté·e après nos départs respectifs pour me dire qu’elle s’était sentie inconfortable à la suite de quelques moments de contact physique qui, alors que j’avais initié ces gestes (dans ma tête purement platoniques) dans le but d’établir une connexion amicale (du genre la tête sur l’épaule), lui avaient paru être des avances non souhaitées, et donc des gestes inappropriés. Je me suis rendu·e compte avec gêne et stupeur que, passant probablement à ses yeux pour un gars ou à peu près, ce que j’avais osé dans le cadre d’échanges amicaux en faisant confiance (à qui ? En quoi ?) avait été déplacé et que, pire des pires, je ne l’avais pas non plus réalisé. Je partageai donc avec mon amant, à qui c’était le tour de présenter sa gêne, que ma masculinité semblait avoir acquis un poids que je ne lui connaissais pas, capable de répercussions plus sérieuses que ma conscience n’avait pu le saisir à l’instant même de la faute. Malheur !
Prendre conscience
Je passais en revue comment ça avait bien pu être possible… Il faut dire que les autres moments dans ma vie durant lesquels mon attitude avait été mal perçue ou mécomprise sont autant d’exemples d’une réception de mes genres qui ne s’alignait pas tout à fait (ou pas du tout ?) avec la présentation que je croyais offrir avec transparence — et, ô surprise, dans l’« autre direction » binaire, ces fois-là ! Mon doute s’est installé rapidement : alors que je me méfiais et calculais avec précaution mes gestes posés dans des circonstances d’attirance érotique, il ne m’était pas venu à l’esprit que mon comportement en dehors de ces intentions explicites pouvait heurter, puisqu’il était exprimé en toute candeur et bourré d’intentions pures. Tout ça pour dire qu’alors que je me retrouvais de nouveau victime de mains qui osaient fort sans certitude (et cette fois-ci celles d’un gars trans et non de ces innombrables gars cis qui continuent de me faire le coup depuis mes, oh, disons quatorze ans…), je ne comprenais que trop bien l’embarras de mon copain qui avait assumé autant mon intérêt que mon consentement.
Pour en revenir à mes réflexions initiales, l’identité est quelque chose qui ne cesse de s’alimenter de ce qu’on lui offre comme modèle et comme contexte de développement, qu’on le veuille ou non. Côté performance et performativité, je sais jouer le jeu fem autour de gars cis en situation flirty, ou encore jouer les gars cons avec d’autres dudes trans par moments, question de se balader au pays de notre adolescence-de-skater-boy-niaiseux-jamais-vécue et de se la penser bonne. Mais sors-moi de cette zone de confort peaufinée durant plus d’une décennie et demie et plante-moi dans une relation avec une personne plutôt fem et je perds mon pauvre nord ! Qui suis-je, dès lors que je vois plus clair que jour combien la masculinité que je sais jouer est malencontreuse et défectueuse ? À quoi ressemble ma masculinité sans trop de bons modèles, du moment où elle n’est plus théâtralisée pour convaincre quelqu’un·e de ma validité ?
Aujourd’hui, je ne sais plus trop où me situer par rapport aux gars et aux hommes qui peuplent le monde que j’habite. Je ne m’identifie pas (complètement) avec elleux, mais je me cherche une masculinité tout de même. Je revendique quelque chose de plus ample, avec de l’espace pour respirer à l’aise, pour se promener un peu et pour changer pour le meilleur les habitudes qui nous font mal, autant aux autres qu’à nous.
Suffit-il de redéfinir chacun·e de son côté une version de masculinité plus saine et féministe, ou doit-on en faire l’objet d’une entreprise de (re)définition collective ? Qu’en penses-tu ? Quelle en est ton expérience, de l’intérieur ou de l’extérieur ?
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