On les croise en ligne, à grand renfort de mèmes, de kits vestimentaires et de hashtags. On leur associe des caractéristiques physiques et morales, on les range dans des catégories aux noms évocateurs, et on en fait des vidéos TikTok et des Reels dont la popularité durera plus ou moins longtemps, mais auxquelles il sera difficile d’échapper. Eux, ce sont les archétypes numériques, parmi lesquels se trouve le mâle performatif (performative male), un hétéro à la posture progressiste qui navigue avec plus ou moins de succès la redéfinition des masculinités.
Qui es-tu, mâle performatif ?
Le mâle performatif, également appelé profem (pour pro-féministe), est un homme hétérosexuel qui affiche publiquement des comportements, attitudes et discours progressistes, féministes et/ou alliés des minorités. Sur papier, on aime bien.
Oui, mais voilà. Ce qui caractérise le mâle performatif, c’est qu’il ne s’affiche pas ainsi par conviction profonde, mais essentiellement pour en retirer des bénéfices (sociaux, romantiques, sexuels). Ce n’est d’ailleurs pas un concept entièrement nouveau, certain·e·s y voyant une version 2025 du poser.
Son portrait-robot :
- Une esthétique bien pensée : le mâle performatif soigne son allure afin de s’attirer les bonnes grâces des femmes progressistes. On parle d’un pantalon large, d’un collier de perles et d’un tote bag orné d’une citation féministe, duquel dépasseront les livres de Mona Chollet ou de bell hooks. Ses ongles sont vernis, sa coupe est mulet, ses lèvres sont recouvertes d’une moustache. Genre.
- Un discours affiché de vertu : le profem se déclare évidemment déconstruit, allié de la cause féministe. Ayant tout lu, vu et écouté sur le sujet, il n’hésite donc jamais à étaler ses connaissances féministes pour attirer l’attention, sans forcément en intégrer le sens profond. Point bonus lorsqu’il explique le concept de féminisme à sa date et lui coupe la parole au passage.
- Une empathie dans le tapis : le mâle performatif est bien entendu ouvert à la vulnérabilité et à la remise en cause du patriarcat. Sa grande sensibilité à la question et son empathie lui donnent d’ailleurs le droit de parler à la place des femmes, entre autres. Une attitude largement critiquée et parodiée, comme l’illustrent les concours organisés pour désigner le meilleur mâle performatif à coups de poèmes sur les crampes menstruelles, par exemple.
Le mâle performatif se distingue donc de la masculinité toxique traditionnelle par son adhésion apparente aux idéaux progressistes. Alors que les autres archétypes que sont le mâle alpha et le gym bro cultivent une image ultra-virile et misogyne, le performative male adopte les codes d’une masculinité plus douce et sensible. Mais derrière cette façade, celui que l’on surnomme aussi matcha bro incarne souvent un opposé plutôt finaud à la déconstruction authentique : difficile de savoir en effet s’il s’agit d’une expression sincère de progressisme ou d’une pose savamment calculée.
Mais dans le fond… Pourquoi ?
On va le dire clairement, rien de bien noble ne motive cette performance. C’est même tristement banal : séduire, cruiser, scorer… Et même pour une nuit.
Dans le contexte actuel où les valeurs progressistes sont de plus en plus valorisées, particulièrement par un public féminin féministe et doté d’un capital culturel élevé, afficher une sensibilité progressiste, c’est plutôt un green flag. Utiliser le female gaze et transformer sa déconstruction en apparat esthétique permettraient donc à ces messieurs de se rendre plus attractifs auprès de leur cible.
Pour certains hommes cependant, la performance est motivée par la pression sociale et la peur d’être étiquetés comme problématiques. Ils préfèrent alors adopter des postures « sûres » et politiquement correctes vis-à-vis de l’audience qui les intéresse (les femmes féministes), sans véritable réflexion. C’est une forme de virtue signalling — la vertu ostentatoire, ou le fait d’afficher une position considérée comme moralement bonne sans qu’aucune action concrète ne suive. Mettons que s’il a bel et bien lu l’essai qui dépasse de son tote bag, il ne reprendra peut-être pas pour autant son ami qui fait un commentaire sexiste.
Dans son livre Gender Trouble, Judith Butler amène le concept de genre performatif. Selon elle, le genre n’est pas une qualité intrinsèque, mais plutôt une construction sociale et culturelle qui se produit par la répétition d’actes et de comportements. Le lien pourrait ainsi être rapidement fait pour affirmer que les mâles performatifs ne sont qu’une illustration de ce concept. Mais c’est sans compter sur l’aspect factice, hypocrite, voire manipulateur de leur démarche.
Là où la performativité peut être une construction inconsciente ou authentique de soi, avec le performative male, elle est une appropriation superficielle de traits et de valeurs pour plaire, sans réelle prise de conscience ou engagement.
Et sans surprise, ces comportements, dénoncés par les femmes depuis des années, suscitent de vives critiques. On ne compte plus les mèmes et autres parodies de mâles performatifs soulignant le décalage entre les paroles et les actes.
Un nouveau coup dur pour les relations hétéros
Le mâle performatif, c’est une désillusion de plus pour les femmes hétérosexuelles, et un nouveau bris de confiance dans une relation déjà fragile. Quand on découvre que l’engagement progressiste de son partenaire n’est qu’une façade, ou qu’il se crée une fausse identité pour plaire, on tombe de haut. Dans ce contexte, difficile d’établir des relations authentiques et basées sur le respect mutuel. Pire, cela peut instaurer des dynamiques toxiques dans le couple (oh allô, le mansplaining, je savais que tu n’étais pas bien loin !) malgré les valeurs progressistes affichées.
Le mâle performatif est aussi problématique pour les réels alliés : les hommes hétérosexuels qui soutiennent réellement les femmes sont suspectés d’opportunisme, leurs intentions sont remises en doute et les féministes s’en méfient, par défaut. Comme l’explique la journaliste Mahalia Chang, « la parodie de la masculinité reste de la masculinité. Plutôt qu’une avancée, le mâle performatif peut représenter une veine plus pernicieuse de la masculinité contemporaine, plus difficile à déceler que la masculinité toxique ouverte. Le phénomène contribue à un cynisme actuel autour des relations homme-femme et à un climat de surveillance généralisé. »
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Alors, on peut légitimement se demander : est-ce qu’à force d’être exposé à des idées progressistes, le mâle performatif pourrait opérer une véritable prise de conscience ? Est-ce que sa posture superficielle de départ pourrait être le catalyseur d’une réelle introspection, et d’une compréhension plus profonde ? Qu’on se le dise : tout le monde perdrait à ce que les hommes cessent de lire ou de s’interroger. Mais il faut un ingrédient clé : la volonté. La volonté de dépasser la simple façade ; la volonté d’écouter pour réellement comprendre ; la volonté de s’engager concrètement pour l’égalité, même (et surtout !) quand personne ne regarde.
Il s’agit enfin de faire preuve d’honnêteté, d’humilité et de persévérance — bien loin, donc, de la simple performance.
Crédit photo principale : Jean-Daniel Francoeur






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