Traumavertissement : violence à caractère sexuel (VACS), délinquance sexuelle, stigmatisation, injustice. Le terme « survivant·e·s de VACS » est utilisé ici pour simplifier, sans réduire la personne à son vécu ni nier l’importance de son expérience.

Des années après le raz-de-marée #MeToo, que reste-t-il de ce cri collectif contre les violences sexuelles ? On sait qu’il a permis une libération massive de la parole des survivant·e·s de VACS, car il ne faut pas oublier qu’elles cherchent à se rendre justice par elle-même, dans un système judiciaire où dénoncer est une réelle course à obstacles. Ce phénomène a aussi suscité de vifs débats sur la justice, la réparation et la place du public dans la gestion des conflits sociaux, à l’ère des réseaux sociaux. 

Aujourd’hui, alors que le mouvement continue d’inspirer, de diviser et de transformer, il est essentiel de faire le point : comment #MeToo s’articule-t-il désormais, entre la libération de la parole, la critique sociale, le backlash et le désir de transformation ? On te propose un retour sur son histoire, ses forces et ses limites, ses répercussions, les phénomènes parallèles, comme la cancel culture, et les perspectives pour une justice sociale plus inclusive.

La genèse de #MeToo

Le mot-clic #MeToo ne surgit pas de nulle part. Il est possible qu’il remonte à plus longtemps que tu le penses. Il est d’abord lancé en 2006 par l’activiste afro-américaine Tarana Burke, dans un contexte communautaire, pour soutenir les femmes racisées survivantes de VACS. Mais c’est en octobre 2017, avec la vague de dénonciations dans le milieu du cinéma américain, que #MeToo explose à l’échelle mondiale. Les révélations de Alyssa Milano sur Harvey Weinstein, producteur d’Hollywood bénéficiant auparavant du bouclier des privilèges patriarcaux, font l’effet d’une onde de choc en ligne. En quelques jours, des millions de femmes, mais aussi des hommes et des personnes non-binaires, témoignent sur les réseaux sociaux des violences sexuelles subies dans tous les milieux.

Savais-tu que, le 30 octobre 2017, une liste a été publiée recensant 93 femmes ayant déclaré publiquement avoir été agressées par Harvey Weinstein, dont 14 affirment avoir été violées ?

Le mouvement prend alors une ampleur inédite. Il ne s’agit plus seulement de dénoncer des individus, mais de mettre en lumière l’ampleur systémique des violences sexuelles et du sexisme.

Lorsque le mot-clic #MeToo est devenu viral après le tweet d’Alyssa Milano (blanche), les médias ont d’abord passé sous silence l’origine du mouvement, effaçant Tarana Burke de la narration dominante. En réponse à cet effacement médiatique, des collectifs comme #MuteRKelly, #SayHerName ont souligné la nécessité de centrer les expériences des femmes racisées dans la lutte contre les violences sexuelles.

Ensuite, #MeToo traverse les frontières : en France, il devient #BalanceTonPorc, au Québec, #MoiAussi. La prise de conscience se répand dans le monde du travail, le milieu artistique et culturel, l’industrie du divertissement, les milieux sportifs, universitaires, et bien au-delà. Dans le fond, on s’est rendu compte qu’il y avait des expériences de violence à caractère sexuel glissées sous le tapis partout. Un constat central du phénomène est que l’espace numérique joue un rôle clé dans son expansion : la viralité des hashtags, la facilité de prise de parole en ligne et l’effet boule de neige des témoignages permettent une mobilisation sans précédent.

Points forts et faiblesses

Forces

Prise de conscience

Le principal acquis de #MeToo est la libération de la parole des survivant·e·s de VACS. Dans des milieux traditionnellement fermés, souvent hiérarchisés — comme le cinéma, la musique ou le sport — il a permis à des personnes auparavant réduites au silence de se faire entendre. Pour beaucoup, la prise de conscience de l’ampleur réelle des violences sexuelles dans notre société a été un choc. On avait appris à se taire, à minimiser, à se mettre la tête dans le sable. Mais ce temps est révolu : nos certitudes ont été ébranlées. On ne tolérera plus la banalisation ni l’invisibilisation des violences à caractère sexuel, c’est compris ? La parole des femmes racisées, des personnes LGBTQ+ ou en situation de handicap a aussi trouvé une place, même si elle reste parfois marginalisée. On peut toujours faire mieux en termes d’inclusion, c’est impératif.

Toustes pour un, un pour toustes !

#MeToo a également favorisé la création d’un sentiment d’appartenance et de communauté. Les survivant·e·s de VACS se reconnaissent, se soutiennent, se mobilisent collectivement. Des manifs et des prises de parole médiatiques ont suivi, donnant une visibilité nouvelle à la lutte contre les VACS dans l’espace public. Dans certains milieux, tels que le milieu festif et culturel au Québec, #MeToo a permis de révéler l’ampleur de la banalisation des violences, et de faire émerger des initiatives institutionnelles de prévention, de sensibilisation et de formation. Ici, il est toujours bien de remettre en question des intentions des institutions afin de comprendre leurs intentions ou si elles ont été contraintes d’agir pour protéger leur réputation.

Renversement de pouvoir : le début

Enfin, le mouvement a contribué à bousculer les dynamiques de pouvoir. Des milieux longtemps perçus comme intouchables — tels que le monde universitaire et entrepreneurial jusqu’ici encore coincé dans les rouages d’un passé révolu — ont été contraints de revoir leurs pratiques, adoptant des politiques plus strictes en matière de harcèlement et de violences sexuelles. Finalement, #MeToo a aussi permis de politiser des questions longtemps reléguées à l’intime, en affirmant tout fort que « le personnel est politique » et que les VACS, c’est l’affaire à tout le monde !

Faiblesses

Cependant, il faut se rappeler que #MeToo n’est pas exempt de critiques. L’une des principales faiblesses du mouvement est l’individualisation des récits : chaque témoignage, aussi puissant soit-il, tend à occulter les enjeux structurels, comme la culture du viol ou les inégalités de pouvoir. Parfois, la confusion entre inconduites et crimes graves brouille la compréhension publique, et le mouvement est accusé de traiter sur le même plan des gestes de gravité très différente. Aussi, en réponse à ces injustices perçues, de nouveaux mouvements émergents, comme les groupes masculinistes qui dénoncent une « injustice » envers les hommes — considérant que la grande majorité des personnes dénoncées et alléguées agresseurs sont des hommes, quelle surprise…

Quel impact ça a dans nos vies ? 

On comprend alors que #MeToo ne se limite pas à une campagne de dénonciation : il devient un mouvement social, culturel et politique. Il questionne non seulement les comportements individuels, mais aussi les structures de pouvoir, les normes sociales et les mécanismes d’impunité qui protègent les agresseurs — tu peux te rafraîchir la mémoire sur ce concept en lisant 5 faits qui contribuent à la culture du viol. 

Il ouvre aussi la porte à une réflexion sur la justice, la réparation, et la transformation des rapports de genre. Maintenant plusieurs années après, quels changements observe-t-on ? D’abord, une véritable mutation des dynamiques de pouvoir : des personnalités influentes/des célébrités ont été écartées, des institutions ont été forcées de revoir leurs pratiques, et la prévention des VACS est devenue un enjeu incontournable dans de nombreux milieux. Des formations obligatoires, des politiques de tolérance zéro et des ressources d’aide psychologique et sociale se multiplient.

Cependant, #MeToo a aussi suscité des résistances : banalisation, accusations de chasse aux sorcières et de parasite social. Ce backlash se manifeste par une remise en cause de la légitimité de la parole des survivant·e·s de VACS, des accusations d’exagération, de mensonges, voire de manipulation. Une espèce d’effet boomerang néfaste et toxique tant pour les survivant·e·s de VACS que les allégué·e·s agresseur·e·s. Le débat public s’est polarisé : d’un côté, une volonté de justice et de transformation ; de l’autre, la crainte d’un excès de punition. Cette tension traverse aujourd’hui les médias, les réseaux sociaux, mais aussi les familles, les groupes d’ami·e·s, les milieux professionnels offrant un front de lutte fissuré.

Les réalités coïncidentes de #MeToo dans nos sociétés

Parallèlement à #MeToo, la cancel culture a pris de l’ampleur. La culture de l’annulation consiste à exclure socialement ou professionnellement une personne dénoncée. D’un côté, cette mobilisation sociale est perçue par certain·e·s comme une dérive punitive, sans possibilité de dialogue ou de transformation. À ce jour, des années après les secousses de #MeToo, on se questionne sur le recours à la dénonciation publique, sans procédure judiciaire. Du même coup, on soulève alors la question du droit à la réparation, à la nuance et à la réintégration pour les « personnes annulées ». On commence aussi à prendre un recul nuancé : la récupération institutionnelle du mouvement, parfois déconnectée des besoins réels des survivant·e·s de VACS, est critiquée pour son manque d’impact concret et son instrumentalisation au profit de la préservation de l’image publique, plutôt que d’une véritable prise en charge.

De l’autre côté, on assiste à un essor de l’éducation populaire et féministe sur les violences sexuelles : ateliers, balados, documentaires, campagnes de sensibilisation (name it!), ou les débats sur la place du tribunal social versus le tribunal spécialisé en VACS

De la justice punitive à la justice transformatrice

Face aux limites du modèle punitif, de plus en plus de voix appellent à explorer des alternatives : la justice réparatrice et la justice transformatrice. Ces modèles, inspirés des pratiques communautaires et féministes, visent à réconcilier responsabilité, écoute, réparation et reconstruction. Il ne s’agit plus seulement de punir, mais de permettre aux survivant·e·s de VACS d’être entendu·e·s, aux auteurs de reconnaître leurs actes, et à la communauté de se reconstruire collectivement. Il faut garder en tête qu’il est nécessaire d’accompagner les délinquants sexuels et ne pas simplement les mettre de côté…

Des initiatives émergent : cercles de parole (voir le groupe PsyPsy à Limousin), médiations, programmes de réintégration. L’idée est de sortir de la logique binaire plaignant·e/coupable, pour prendre en compte la complexité des situations, les besoins de chacun·e, et la nécessité de transformer les structures qui permettent la reproduction des violences. La justice transformatrice, encore marginale, offre des pistes pour une société plus inclusive, où la réparation prime sur l’exclusion.

Peut-on encore avancer dans le bon sens dans ce monde chaotique ?

Le bilan est contrasté : le mouvement #MeToo a permis un renversement historique du silence, une prise de conscience collective et des avancées réelles dans la lutte contre les violences sexuelles. Mais il a aussi révélé les limites du modèle punitif, la nécessité de repenser la justice, et l’importance de créer des espaces de dialogue, de réparation et de reconstruction. L’avenir de #MeToo dépendra de notre capacité à en faire un levier de transformation sociale, pas seulement un outil de dénonciation.

Et maintenant ? Comment créer des espaces où l’on peut à la fois écouter, réparer et reconstruire autrement que par l’exclusion ? La réponse se trouve sans doute dans l’invention collective, l’écoute des voix multiples, et la volonté de bâtir une société plus juste, plus inclusive, et plus humaine.

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Références

Blais-Tremblay, V. et Bissonette, J. (2024, décembre). 3-2-1.-Action ! Une démarche concertée de lutte contre les violences à caractère sexuel en culture au Québec. https://crilcq.org/publications/publications-numeriques/3-2-1-action-une-demarche-concertee-de-lutte-contre-les-violences-a-caractere-sexuel-en-culture-au-quebec/

Bloomfield, E. F. et Tillery, D. (2019). The Circulation of Climate Change Denial Online: Rhetorical and Networking Strategies on Facebook. Environmental Communication, 13(1), 23‑34. https://doi.org/10.1080/17524032.2018.1527378

Chagnon, R. (2016). Les femmes et la justice au Canada : quelle justice ? Nouveaux Cahiers du socialisme, (16), 111‑118.

Corte, E. et Desrosiers, J. (2021). Rebâtir la confiance. Secrétariat à la condition féminine.

Institut de la statistique du Québec. (2023, 24 novembre). Crimes sexuels. Institut de la statistique du Québec. https://statistique.quebec.ca/vitrine/egalite/dimensions-egalite/violence/agressions-sexuelles

Jouët, J. (2022). Numérique, féminisme et société. Mines ParisTech-PSL.

Lussier, J. (2021). ANNULÉ(E): Réflexions sur la cancel culture. Éditions Cardinal.

Nguyen, T. (2021). Exploring cancel culture and the distrust of YouTube influencers [M.A., University of Missouri--Columbia]. https://doi.org/10.32469/10355/88105

Pelletier, M. (2023). Analyse critique du discours en ligne sur les dénonciations de violences à caractère sexuel : le cas de de la liste de potentiels agresseurs, Dis Son Nom
[Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal]. https://archipel.uqam.ca/16945/

RQCALACS. (2022, 7 septembre). Un enjeu social. RQCALACS. https://rqcalacs.qc.ca/un-enjeu-social/

Théorêt, C. (2019). La représentation médiatique des victimes d’agressions sexuelles : les cas Ghomeshi et Sklavounos [Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal].

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