Depuis quelques années, les vidéos de « trad wives » connaissent un succès grandissant et même viral sur TikTok, Instagram et YouTube. Ces femmes, qui revendiquent un retour à la « féminité traditionnelle », une vie au foyer et une soumission volontaire à la gouvernance de leur mari, fascinent autant qu’elles divisent. S’agit-il d’une simple tendance d’un mode de vie rétro - comme dans l’temps de nos grands-parents t’sais — ou d’un mouvement ancré dans une communauté de droite avec un agenda politique bien précis ? Dans cet article, on s’interroge sur le rôle que jouent les réseaux sociaux dans l’articulation et la diffusion de ce phénomène. Et, surtout, sur les impacts de ce mouvement sur la vie des femmes et sur la société d’aujourd’hui, déjà mal en point…

Les racines et la définition des communautés de droite

Qu’est-ce qu’une communauté de droite ?

D’un point de vue sociologique, une communauté de droite se caractérise par un groupe d’individus partageant des valeurs conservatrices, souvent ancrées dans des croyances religieuses chrétiennes. Il faut donc comprendre que, selon leurs croyances, les trad wives rejettent ouvertement le féminisme, qu’elles considèrent comme nuisible au bonheur des femmes. Elles perçoivent l’avortement et la contraception comme des péchés graves (Norris, 2023), s’appuyant notamment sur une lecture littérale de la Bible, selon laquelle les êtres humains — ici lire de manière binaire les hommes et femmes — doivent « croître et se multiplier » (Genèse 1:28, English Standard Version Bible, 2001).

Historiquement, ces communautés se sont souvent constituées en réaction aux mouvements progressistes, cherchant à préserver des normes sociales perçues comme menacées (allô, les masculinistes). À noter qu’aujourd’hui, les communautés de droites se retrouvent aussi bien dans des milieux religieux que dans des mouvements politiques ou culturels.

Les caractéristiques d’une communauté de droite

  • Identité collective : Les membres partagent une histoire, des symboles (Ex. : drapeaux, slogans, etc.), et une vision commune du monde.
  • Croyances collectives : Primauté de la famille, du mariage hétérosexuel et du rôle genré des individus.
  • Valeurs collectives : Stabilité, ordre, respect de l’autorité et transmission des traditions.
  • Normes collectives : Règles explicites ou implicites sur le comportement, la morale ainsi que la place des femmes et des hommes.
  • Objectifs collectifs : Préserver ou restaurer un ordre social jugé « naturel », influencer la politique ou la culture.

Les trad wives, une version contemporaine de ces communautés ?

Identité et croyances : le foyer comme vocation

Le phénomène des trad wives puise ses racines dans les mommy bloggers des années 2000, tout en incarnant une version contemporaine de la housewife des années 1950. Avec le temps, le discours de ces moms s’est transformé en une mise en scène idéalisée de la vie domestique et familiale, marquée par un rejet du féminisme et de la diversité. Et ça a tout à fait été amplifié par les ères de règne de Trump. En gros, les guidelines d’une trad wife se traduit par une valorisation de la maternité, par un foyer en ordre et par le rejet d’un travail salarié. Sauf si le chèque vient de YouTube, TikTok ou Instagram grâce à leur création de contenu de lifestyle fait à la maison. La posture des trad wives est marquée d’un solide désir de rejeter le féminisme et de ne jamais devenir cette fameuse « femme indépendante », alias une girlboss trop stressée qui ne profite pas de la vie, selon elles. Leur souhait est plutôt d’incarner une féminité « authentique », qui est fondée sur des rôles de genre traditionnels avec des saveurs conservatrices on the side.

Moment de nuance

Une mère au foyer n’est pas automatiquement une trad wife.

Une personne peut choisir de ne pas exercer d’activité professionnelle et de se consacrer aux tâches familiales, sans nécessairement adhérer à une idéologie particulière. C’est important de faire la différence !

Le mouvement des trad wives valorise un mode de vie centré sur la famille, où la femme se consacre à son mari, à ses enfants et à la maison. On y prône la modestie, la discrétion et l’école à la maison. Aussi, cuisiner n’est plus nécessairement un plaisir personnel, mais ça devient une attente de performance féminine : il ne s’agit plus de nourrir sa famille comme on l’entend, mais de tout faire soi-même pour répondre à un idéal de femme parfaite au service des autres (#fromscratch). Ce choix de garder les enfants à la maison permet d’éviter les écoles qui ne partagent pas leurs valeurs, et de transmettre leurs visions du monde à leurs enfants. Dans cette vision, la femme « réussit » si sa maison est propre, son mari heureux et ses enfants bien élevés.

Crédit : Daria Pierantoni, Etsy.

Objectifs collectifs : revaloriser le foyer, influencer la société

Au-delà de la sphère privée, le mouvement trad wife vise à influencer la société : réhabiliter le modèle du foyer traditionnel, critiquer le féminisme perçu comme source de malheur ou de confusion. L’analyse sociologique et politique de cette communauté (Darby, 2020) nous permet de comprendre que l’agenda politique de ce mouvement reste assez transparent et facile à lire : accumuler le plus d’adeptes possible pour tenter d’avoir une influence sur les politiques publiques.

Le rôle des réseaux sociaux dans la diffusion et la construction du mouvement

Construction de communautés avec l’accessibilité et la viralité des contenus 

Les réseaux sociaux jouent un rôle central dans la popularisation du phénomène trad wife. TikTok, avec ses 1,6 milliard d’utilisateur·rice·s actif·ve·s mensuellement, est particulièrement influent : le format court, l’algorithme qui privilégie la viralité, et la possibilité de toucher un public jeune et international ont permis au mouvement de se développer rapidement. Les plateformes favorisent la création de communautés soudées et renforcent le sentiment d’appartenance : hashtags rassembleurs (#tradwife), vidéos de conseils, partages de routines, échanges de recettes ou de conseils éducatifs. 

TikTok, un outil de propagande moderne

À noter, l’algorithme des réseaux sociaux, surtout celle de TikTok, amplifie les contenus qui suscitent l’émotion, la nostalgie ou la polémique. Les vidéos trad wife, souvent esthétiques et scénarisées, captent l’attention, ils sont en plein dans le mille des algorithmes remplis de biais conservateurs. La viralité de ces contenus contribue à attirer de nouvelles adeptes, surtout parmi les femmes millénales et de la génération Z. Leur intérêt pour le mode de vie des trad wives s’ancre souvent dans un désenchantement vis-à-vis le féminisme… Malgré des décennies de revendications, l’égalité au travail (par exemple) demeure encore hors de portée. Comme l’explique McRobbie (2009), dans un contexte où les promesses d’égalité semblent ne jamais se concrétiser, certaines femmes peuvent opérer un retrait stratégique vers des rôles traditionnels, qui sont perçus comme un genre d’échappatoire rassurant face aux luttes féministes continuelles et une émancipation perçue comme inatteignable. Selon l’étude scientifique de Rambousková étudiant les communautés de trad wife sur TikTok, cette plateforme sert en quelque sorte de « laboratoire d’expérimentation identitaire », où les femmes testent, exposent et ajustent leur adhésion au modèle traditionnel.

Nara Smith, cible des internautes par la création de mèmes pour ridiculiser le fait qu’elle cuisine des gommes et des céréales from scratch.

L’impact du mouvement trad wife sur la vie des femmes et le féminisme

Rôles de genre : autonomie ou retour en arrière ?

Le mouvement trad wife propose une vision très normative des rôles de genre : la femme doit être douce, soumise, maternelle, et centrée sur le foyer. Cette vision entre en tension avec les luttes du féminisme : autonomie financière, équité salariale, liberté sexuelle. Même si certains adeptes affirment avoir librement choisi ce mode de vie, il faut rester critique… Plusieurs recherches en sciences sociales (Rambousková, 2025 ; Woolf et al, 2025) nous rappellent que ce « choix » se fait souvent dans un contexte de pression sociale forte où des règles sociales rigides accordent le pouvoir des hommes au détriment des femmes et au profit du patriarcat. Il importe donc de se méfier des apparences : les mots et les images diffusées sur les réseaux sociaux ne reflètent pas toujours la réalité d’un choix 100 % libre et éclairé. Avec le temps, certaines de ces femmes peuvent finir par se sentir prises sans vraiment savoir comment s’en sortir. Enfin, il est possible qu’à travers les décisions et actions prises afin d’adhérer au mouvement trad wife, certaines femmes en viennent à perdre leur autonomie et indépendance et, dans certains cas, à s’isoler de leurs proches ou de leur famille.

Mème caricaturant les luttes féministes pour valoriser les trad wives.

Sexualité : discours traditionnels et contrôle du corps

La sexualité, dans le discours trad wife, est souvent abordée sous l’angle de la fidélité, de la monogamie, et du devoir conjugal. Le plaisir féminin est rarement central ; il s’agit plutôt de satisfaire son mari, de préserver l’harmonie du couple, et de se conformer à des normes morales strictes. Cette façon de voir les choses peut encourager le contrôle du corps des femmes et réduire leur liberté de vivre leur sexualité comme elles le veulent.

Place au travail : retrait ou réinvention ?

Les trad wives valorisent le retrait du marché du travail, la dépendance financière au conjoint et la valorisation du travail domestique. Ce discours entre en contradiction avec la réalité économique de nombreuses familles, où deux revenus sont nécessaires, et avec le désir d’indépendance de nombreuses femmes. Il peut aussi influencer les politiques publiques, en légitimant des mesures défavorables à l’emploi féminin ou à la conciliation travail-famille.

Impacts sur les mentalités et le débat public

Le mouvement trad wife contribue à réactiver des débats sur la place des femmes, la famille, l’éducation, et la sexualité. Il suscite des réactions contrastées : fascination, nostalgie, rejet, ou inquiétude face à une possible remise en cause des droits acquis. Pour certains, il s’agit d’un phénomène marginal ; pour d’autres, d’un symptôme d’un retour du conservatisme, dans une société brisée par le patriarcat.

Finalement, on retient quoi de tout ça ? 

Le phénomène des trad wives est loin d’être une simple tendance… Pour reprendre les propos de Léa Clermont-Dion, lors de son passage à huile sur le feu… Le jupon politique dépasse, car au-delà des vidéos de tabliers fleuris et de tartes maison, l’idéologie suprémaciste blanche reprend du terrain. Ce mouvement pro-vie et certaines figures politiques, comme Donald Trump, encouragent un retour des femmes au foyer pour faire des enfants, en insistant notamment sur l’importance de « repeupler » la nation. Par exemple, son administration a proposé un baby bonus de 5 000 $ afin de « motiver » les femmes à avoir plus d’enfants (Dickler, 2025). Je t’épargne ma rage et mes pensées passives-agressives (🤬). Il s’inscrit dans une dynamique complexe : il réactive des valeurs et des normes issues de communautés de droite, utilise la puissance des réseaux sociaux pour se diffuser et se structurer, et conteste solidement les acquis du féminisme et la place des femmes dans la société. Si certaines femmes y trouvent un épanouissement personnel, il convient de rester vigilant face aux risques de régression sociale, de pression normative, et de remise en cause de l’autonomie féminine…

Pour aller plus loin :

Voici un court documentaire qui peut vous permettre de comprendre comment le mouvement se manifeste actuellement aux États-Unis.

Et du même coup, pour vous initier à l’état actuel des mouvements sectaires au Québec : La prison de l'Esprit-Saint, série documentaire sur Crave.

Si vous vous reconnaissez dans ces situations ou si vous vous inquiétez pour un proche, il est important de :

Chercher de l’aide :
Contacter des associations spécialisées dans la lutte contre les dérives sectaires ou des professionnels de la santé mentale. Au Québec, nous avons Info-Secte qui offre des services d’aide.

Ne pas hésiter à dialoguer :
Tenter une conversation ouverte et bienveillante avec la personne concernée, en évitant tout jugement ou confrontation.

Se documenter :
Se renseigner sur les caractéristiques des dérives sectaires et les signes d’alerte.

Crédit photo principale : Dziana Hasanbekava

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