Avec les réseaux sociaux comme TikTok et l’explosion de figures controversées qui parlent de réussite, de domination ou de masculinité, les jeunes garçons et ados sont bombardés de contenus qui glorifient des idées sexistes ou masculinistes. Ce qui était marginal ou niche il y a dix ans est maintenant omniprésent, partagé sans retenue et atteignant un public énorme. Ces messages sont pleins de promesses de succès et d’assurance, et trouvent écho chez beaucoup de jeunes en quête de repères.

Autour de moi, je vois des parents et des enseignant·e·s qui se sentent complètement dépassé·es par ce phénomène. On se demande souvent : « Comment en parler sans provoquer un conflit ou braquer les jeunes ? » Ce n’est pas simple, et ce n’est pas grave si on ne trouve pas la solution parfaite du premier coup. Ce qui compte, c’est de commencer, même petit, avec des discussions qui ouvrent des portes. Parce qu’on ne peut pas simplement ignorer ou diaboliser ces contenus. Ce qui marche, c’est de créer un espace pour en parler, sans tension, et y réfléchir ensemble.

Comprendre le phénomène

L’adolescence, c’est une période où on se cherche, où on veut comprendre qui on est et trouver sa place. Et dans ce moment un peu fragile, les influenceurs masculinistes savent exactement comment captiver l’attention. Ils utilisent des discours percutants, des promesses de réussite et jouent sur les insécurités ou les besoins d’appartenance des ados.

Prenons Andrew Tate, par exemple. Ce nom revient souvent quand on parle de contenu masculiniste en ligne. Ancien kickboxeur et entrepreneur, il s’est construit une image de réussite absolue en glorifiant la domination, que ce soit dans les relations ou au niveau financier. Il diffuse des messages comme : « Les hommes doivent toujours dominer pour être respectés » ou encore « La richesse, c’est le vrai succès ». Avec des vidéos chocs et des contenus polarisants, il attire beaucoup de jeunes garçons qui se cherchent ou veulent trouver une façon de faire leur place dans le monde. Ces messages, répétés en boucle, peuvent sembler motivants. Mais ils véhiculent aussi des idées sexistes et misogynes, en liant la masculinité à la force brute et au pouvoir.

Pour comprendre ce qui attire autant, il faut parfois prendre le temps de regarder ces vidéos. Pas pour les valider, mais pour se mettre à la place de ceux qui les consomment. Ça aide à mieux en parler avec les jeunes, et permet de devancer les arguments présents dans ces vidéos.

Comment aborder le sujet avec son ado ?

La première chose, c’est d’éviter les attaques frontales. Un « Tu regardes Andrew Tate ?! » risque de fermer la discussion au lieu de l’ouvrir. À la place, on peut chercher des opportunités plus naturelles. Par exemple : « Qu’est-ce que tu trouves intéressant sur TikTok ces temps-ci ? » ou « J’ai lu un truc sur ces influenceurs qui parlent de réussite et de masculinité. Tu en as déjà entendu parler ? »

Ensuite, on peut poser des questions qui invitent à réfléchir :

  • « Qu’est-ce que tu penses de ce genre de vidéos ? »
  • « Est-ce que ça te motive ou est-ce que ça te met parfois la pression ? »
  • « Tu crois qu’ils vivent vraiment ce qu’ils disent ou qu’ils exagèrent pour avoir plus de vues ? »

L’idée, c’est de ne pas juger. On veut créer un espace où l’ado peut parler librement, même si ce n’est pas exactement ce qu’on aurait espéré entendre. Et si on sent que l’ado est à l’aise, on peut aller plus loin : « Tu penses quoi de ce qu’ils disent sur les femmes ? ». Ces petites fenêtres de discussion comptent beaucoup. Elles permettent de parler de ces sujets sans que ça devienne une confrontation. À partir de là, on peut explorer ce que ces masculinistes disent sur la place des femmes ou sur les relations, et encourager une réflexion.

Et si notre ado apprécie ces contenus ?

Si on découvre que son ado aime vraiment ces vidéos, pas de panique. Ce n’est pas forcément une adhésion totale à tout ce qui est dit. Souvent, ce sont certains aspects qui les attirent : le sentiment de pouvoir, les promesses de succès, ou simplement l’envie d’appartenir à un groupe. On peut essayer de comprendre ce qui leur plaît en posant des questions comme : « Qu’est-ce que tu trouves intéressant dans ces vidéos ? Qu’est-ce que tu retires de positif ? ».

On peut aussi proposer de regarder une ou deux vidéos ensemble. Ça permet de décortiquer les messages. Par exemple :

  • « Pourquoi tu crois qu’il dit ça ? À ton avis, il s’adresse à qui ? »
  • « Tu trouves que c’est réaliste ou c’est un peu exagéré ? »
  • « Qu’est-ce que ça pourrait changer si tout le monde pensait comme ça ? »

Ces discussions sont aussi une belle occasion pour introduire des notions de littératie numérique :

  • Qui est derrière ces vidéos ?
  • Quels sont leurs objectifs ? (argent, notoriété, pouvoir, influence)
  • Quels arguments utilisent-ils pour capter l’attention ou convaincre ?

C’est un moment parfait pour leur donner des outils d’analyse. Par exemple, on peut expliquer comment certains contenus sont conçus pour provoquer une forte réaction émotionnelle, car c’est ce qui génère des vues et des partages en ligne. Ce n’est pas pour dire : « Tu as tort de regarder ça », mais pour l’encourager à comprendre ce qu’iel consomme en ligne et d’y réfléchir de manière critique.

Dans certains cas, l’ado peut expliquer qu’iel regarde ces vidéos, non pas parce qu’iel est totalement d’accord, mais parce que ses ami·e·s les adorent et en parlent constamment. Cette pression sociale est réelle et peut être une excellente occasion de parler de l’influence des groupes. On peut discuter ensemble de ce que signifie défendre ses idées sans se sentir exclu·e :

  • « Tu as déjà ressenti ça, de ne pas oser exprimer ton désaccord ? »
  • « Comment pourrais-tu expliquer ton point de vue sans te sentir rejeté·e ? »

On peut même répéter des phrases ensemble pour les aider à exprimer leurs pensées de manière respectueuse, mais affirmée : « J’aime bien cette partie, mais je trouve que ce qu’il dit sur les femmes, c’est exagéré. » ou « Moi, je vois les choses différemment, mais c’est intéressant d’en discuter ».

Offrir des modèles alternatifs

On peut aussi leur montrer qu’il existe d’autres façons de voir la réussite et les relations. Parler de figures positives, comme des athlètes ou des personnalités publiques qui valorisent l’empathie et la collaboration. On peut démontrer que la vraie force ne réside pas dans la domination, mais dans la capacité à construire des relations saines et équilibrées.

Par exemple :

  • Parler d’athlètes ou de personnalités qui mettent de avant l’empathie et l’égalité.
  • Regarder un film ou un documentaire qui montre des leaders inspirants et des masculinités positives.
  • Encourager des activités où la coopération prime sur la manipulation et le pouvoir, comme des projets en groupe ou des jeux de stratégie en famille.

On peut même lancer une discussion sur ce que signifie être fort·e ou réussir : « Tu trouves que c’est quoi, un vrai leader ? Quelqu’un qui domine ou quelqu’un qui soutient les autres ? ». Ces échanges permettent de redéfinir des notions comme la force ou le succès dans des termes plus inclusifs et humains.

L’idée, ce n’est pas de leur dire quoi penser ou quoi regarder, mais de les accompagner dans leur façon de réfléchir. Ces vidéos, comme celles d’Andrew Tate, touchent souvent des insécurités ou des aspirations qui résonnent fort chez les jeunes. Plutôt que de s’opposer frontalement, on peut choisir d’être présent·e pour discuter, poser des questions, et les amener à voir les choses sous un autre angle. Ce n’est pas toujours parfait, mais chaque discussion, même petite, peut faire son chemin et les aider à construire et à développer une masculinité positive et respectueuse.

Pour aller plus loin : 

Le Dr Brendan Kwiatkowski, chercheur spécialisé sur les masculinités, analyse les dynamiques des discours masculinistes et leur impact sur les jeunes. Il propose des ressources pratiques (PDF disponible en anglais ET en français) pour décoder des phrases souvent prononcées ou écrites par des figures comme Andrew Tate, et pour guider les discussions avec les adolescents de manière constructive.

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