Depuis les dernières années, on entend souvent parler des violences à caractère sexuelles (VACS). Des fois, on peut avoir l’impression que c’est toujours du pareil au même : c’est toujours les mêmes personnes désavantagées et stigmatisées par les médias, les discours publics ou les procédures judiciaires. Eh bien, ce n’est pas complètement à côté de la plaque cette impression-là… Il y a bien un concept sociologique pour définir la manifestation de tout ça… As-tu déjà entendu parler de l’himpathy ? Moi j’en ai entendu parler que très récemment et j’ai trouvé que ça faisait bien du sens dans notre société encore prise dans des engrenages patriarcaux…
L’him-pa-quoi ?
Himpathy, c’est la contraction du mot anglais him (il) et de empathy (empathie). C’est le fait d’avoir, en tant que société, de la sympathie disproportionnée ou inappropriée envers les hommes (souvent, cis) auteurs de VACS ou d’autres comportements misogynes.
Le concept d’himpathy permet de décortiquer les mécanismes centraux dans la réaction collective concernant les dévoilements des VACS. Devant des hommes (privilégiés) accusés de VACS, notre sympathie collective se déplace, généralement, des personnes victimes aux allégués agresseurs (Manne, 2020). Cette « vague de sympathie » se matérialise non seulement par une empathie déplacée, mais aussi par une attention démesurée accordée à la réputation, la carrière ou le bien-être des accusés, alors même que leurs actes sont mis en cause (Manne, 2018).
Un récent cas de figure, à titre d’exemple
Au cours de cet article, j’utiliserai l’affaire de Hockey Canada comme cas de figure, vu qu’on peut voir une manifestation explicite du concept de l’himpathy dans cette affaire médiatique : la défense a insisté sur le comportement supposément enthousiaste de la plaignante, mobilisant un récit qui alimente le doute et déplace la responsabilité sur elle.
Or, comme le rappellent Rachel Chagnon (Doyenne de la Faculté de science politique et de droit de l’UQAM) et le CALACS d’Ottawa, ce type de discours s’inscrit dans une culture du viol où le système judiciaire et médiatique protège davantage les accusés que les survivantes. Les réactions publiques, amplifiées par une loyauté communautaire envers des figures sportives admirées, montrent aussi comment l’himpathy fonctionne concrètement : on s’indigne plus de la « réputation ruinée » de jeunes joueurs que de la violence subie par une femme. Dans ce contexte, le langage n’est pas neutre : qualifier la victime d’« alléguée » ou évoquer des « garçons qui font des erreurs » contribue à minimiser la gravité des faits et à reproduire un climat d’hostilité envers celles qui dénoncent. Un regard critique sur ces dynamiques est essentiel si l’on veut promouvoir une justice véritablement sensible aux expériences des survivantes et briser le cycle d’impunité.
Comment ça se manifeste ?
Par le passé on t’a déjà un peu expliqué que la culture du viol était un environnement social qui permet de normaliser et de justifier la violence sexuelle, alimentée par les inégalités persistantes entre les sexes et les attitudes à leur égard. Ci-bas, tu peux voir une figure qui tente d’illustrer comment la culture du viol et l’himpathy sont finalement imbriqués à plusieurs niveaux. Trois dispositifs découlant de l’himpathy viennent, encore à ce jour, graisser les engrenages du patriarcat en assurant une certaine protection aux hommes dans des situations de dévoilements de VACS.

Le détournement de la faute : le victim blaming
L’himpathy opère à travers des narratifs d’exonération, c’est-à-dire de revisiter, d’inverser ou d’alléger la responsabilité du perpétrateur en recontextualisant ses actions (Rogalin et Addison, 2023).
Selon Ryan (2019), la culture du viol, en soutenant le mythe de la « victime parfaite », renforce l’idée qu’il existerait un scénario type du « vrai viol » : une agression soudaine perpétrée par un inconnu dans un espace public, où la victime (toujours perçue comme innocente) est brutalement attaquée, sérieusement blessée et porte plainte immédiatement après, cherchant aussitôt de l’aide médicale. En pratique, si le récit de la victime ne correspond pas au scénario du viol dans une ruelle, c’est-à-dire si l’agresseur est connu, qu’il y a une absence de blessures visibles et une réaction différée : un doute s’installe automatiquement !
Ce doute, nourrit par ces stéréotypes, alimente la croyance selon laquelle la victime aurait exagéré ou inventé les faits et même « provoqué » la situation (Ryan, 2019). Cette rhétorique contribue directement au déplacement du blâme vers la victime elle-même, sapant sa crédibilité et l’empêchant d’être reconnue et soutenue.
En somme, l’himpathy contribue au déni de la réalité des personnes survivantes en invalidant leur expérience, jugée non crédible parce qu’elle ne correspond pas aux critères de la « victime parfaite ». Les personnes victimes en viennent donc à entretenir un silence, nourri par la crainte de l’incrédulité, du blâme ou du rejet : un mécanisme qui constitue l’un des fondements mêmes de la culture du viol (Ahrens, 2006).
L’inversement des rôles : le victim shifting
Du même coup, le récit de l’allégué agresseur devient dominant, en occupant tout l’espace social, juridique et médiatique. Ici, la crédibilité des personnes victimes est remise en doute et une réécriture du récit de victimisation s’opère alors, recentrant l’attention sur le « malheur » vécu par l’allégué agresseur (Théorêt, 2019).
L’himpathy, selon Manne (2018, 2020), opère précisément dans ce type de situation : quand un homme accusé d’agression sexuelle est jugé respectable. Ainsi, la défense se base sur l’argument fallacieux que l’allégué agresseur « n’est pas un monstre, il n’est pas un violeur » (Rogalin et Addison, 2023).
Imprégnée de culture du viol, la société tend à défendre l’allégué agresseur ⎯ particulièrement lorsqu’il correspond à l’image du « bon garçon » ⎯ en minimisant les VACS, souvent perçues comme de simples écarts de conduite appelant à l’indulgence (Kosloski et al., 2018). Ces narratifs, évidemment avantageux pour l’allégué agresseur, peuvent être fondés sur sa « bonne réputation », ses « apports à la société », ou l’argument selon lequel « sa vie ne doit pas être détruite pour une erreur » (Reich et al., 2022).

La valeur de la parole : l’injustice testimoniale
L’himpathy ne se limite pas à détourner la sympathie publique : elle contribue à une forme d’injustice testimoniale. Ce concept, proposé d’abord par la philosophe féministe britannique Miranda Fricker (2007), puis approfondi par sa consœur féministe, la philosophe australienne Kate Manne (2018), désigne le processus par lequel la parole des victimes est jugée moins crédible que celle de leurs allégués agresseurs. Ce phénomène repose notamment sur l’appartenance des victimes à des groupes historiquement marginalisés, comme les femmes, les personnes racisées ou les personnes LGBTQ+.
Par exemple, dans une logique binaire, la société tend alors à adopter une posture de doute systématique envers les récits des femmes, ce qui renforce l’asymétrie entre une « présomption d’innocence » accordée aux hommes et une « présomption d’exagération, d’hystérie ou de mensonge » projetée sur les femmes victimes (Rogalin et Addison, 2023).
Ces injustices testimoniales révèlent ainsi que l’himpathy n’est pas un phénomène universel, mais qu’il s’exerce de manière située, au bénéfice de certains groupes privilégiés. Ce mécanisme bénéficie principalement aux hommes socialement privilégiés c’est-à-dire les blancs, de classe moyenne ou supérieure, cisgenres et hétérosexuels (Surprise !). L’avocate Elizabeth Teebagy (2018) soutient même que la blanchité permet parfois aux agresseurs masculins d’échapper à leurs responsabilités.
L’himpathy est alimentée par les stéréotypes culturels qui façonnent nos représentations de qui peut être un « violeur » et de qui ne peut pas l’être (Manne, 2018). C’est à l’intersection de ces privilèges que la société mobilise ses ressources (juridiques, médiatiques, relationnelles) pour protéger, recadrer ou même « sauver » les accusés, renforçant le sentiment d’invisibilité des victimes, en particulier lorsque ces dernières appartiennent elles-mêmes à des groupes marginalisés (Niemi et Young, 2016).
Le système judiciaire nous donne-t-il vraiment envie de prendre la parole ?
Dans la même veine, une avocate de L’Aparté explique : « Le droit criminel a des limites en matière de crimes d’intimité. La preuve repose sur le témoignage de la personne victime et le fardeau de la preuve est très difficile à satisfaire ». Ainsi, les crimes reliés aux VACS sont une des seules catégories de crime où tu dois sans cesse prouver que tu as été victime… Mettons là, si quelqu’un volait ton vélo, tu n’aurais pas à passer un procès complet à démontrer que tu ne voulais pas qu’on te le vole… pourquoi une victime devrait prouver qu’elle ne voulait pas subir des VACS…
Ce script omniprésent marginalise toutes les situations qui ne s’y conforment pas et leur enlève la légitimité d’être reconnues comme des agressions sexuelles réelles (Franklin et Garza, 2021 ; Ryan, 2011). Les sociétés occidentales contemporaines sont marquées par des dynamiques de pouvoir et d’inégalités de genre qui désavantage toujours les personnes victimes (Julien, 2024). Ce traitement différentiel produit un effet paradoxal : la dénonciation même des violences sexuelles devient un risque pour les victimes, confrontées à la suspicion, à la stigmatisation et parfois à l’exclusion sociale (Rogalin et Addison, 2023). Ce n’est donc pas anodin de voir la propension mondiale et virale de #MeToo, tribunal social, afin de donner une voix aux survivantes.
Crédit photo principale : Alycia Fung
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Liste de références
Ahrens, C. E. (2006). Being Silenced: The Impact of Negative Social Reactions on the Disclosure of Rape. American Journal of Community Psychology, 38(3‑4), 31‑34. https://doi.org/10.1007/s10464-006-9069-9
Franklin, C. A. et Garza, A. D. (2021). Sexual Assault Disclosure: The Effect of Victim Race and Perpetrator Type on Empathy, Culpability, and Service Referral for Survivors in a Hypothetical Scenario. Journal of Interpersonal Violence, 36(5‑6), 2327‑2352. https://doi.org/10.1177/0886260518759656
Julien, M. (2024). L’égalité entre les femmes et les hommes: regard sur 50 ans d’évolution au Québec. Conseil du statut de la femme.
Kimmel, M. (2008). Guyland: the perilous world where boys become men ; (Nachdr.). Harper Collins.
Kimmel, M. (2011). Mapping Guyland in College. Dans J. A. Laker et D. Tracy (dir.), Masculinities in higher education: theoretical and practical considerations (p. 13). Routledge.
Kosloski, A. E., Diamond-Welch, B. K. et Mann, O. (2018). The Presence of Rape Myths in the Virtual World: A Qualitative Textual Analysis of the Steubenville Sexual Assault Case. Violence and Gender, 5(3), 166‑173. https://doi.org/10.1089/vio.2017.0067
Manne, K. (2018). Down girl: the logic of misogyny. Oxford University Press. https://doi.org/10.1093/oso/9780190604981.001.0001
Manne, K. (2020). Entitled: how male privilege hurts women (First edition). Crown, an imprint of Random House.
Mason, G. E., Riger, S. et Foley, L. A. (2004). The Impact of Past Sexual Experiences on Attributions of Responsibility for Rape. Journal of Interpersonal Violence, 19(10), 1157‑1171. https://doi.org/10.1177/0886260504269094
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Smith, M. D. (1990). Patriarchal Ideology and Wife Beating: A Test of a Feminist Hypothesis. Violence and Victims, 5(4), 257‑273. https://doi.org/10.1891/0886-6708.5.4.257
Teebagy, E. (2017). White privilege and racial narratives: The role of race in media storytelling of sexual assaults by college athletes. J. Gender Race & Just., 21, 479.






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